lundi 31 mars 2014

671



 « Je m'appelle Nick Corey. Je suis le shérif d'un patelin habité par des soûlauds, des fornicateurs, des incestueux, des feignasses, et des salopiaux de tout acabit. Mon épouse me hait, ma maîtresse m'épuise et la seule femme que j'aime me snobe. Enfin, j'ai une vague idée que tous les coups de pied qui se distribuent dans ce bas monde, c'est mon postérieur qui les reçoit. Eh bien, les gars, ça va cesser. Je ne sais pas comment, mais cet enfer va cesser. »

vendredi 28 mars 2014

670



 « Une nuit donc, il quitta son lit, poussa le chat dans sa cage, prit sa voiture, roula une bonne vingtaine de kilomètres en direction de la campagne et abandonna le chat dans un champ. Tout simplement. Quelqu’un le trouverait, supposa-t-il, lui donnerait à manger, le ramènerait chez lui et tout rentrerait dans l’ordre. »

mercredi 26 mars 2014

669



 « Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique que leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à con. »

lundi 24 mars 2014

668



« J’ai enroulé un écheveau d’herbes autour de mon poing et j’ai observé les tiges cireuses alignées contre le dos de ma main. C’est ça, le monde réel, me suis-je dit. Fais y plus attention. »

vendredi 21 mars 2014

667



« Jacob de Lafon lit, quelque part, que toute activité
humaine s’organise selon deux vecteurs
opposés : la poussée centrifuge de la paranoïa et
la traction centripète de l’hystérie. »

mercredi 19 mars 2014

666



--> « Elle se moquait de mon émotion devant les symphonies de couleurs dont nous gratifiaient successivement le lever et le coucher du soleil sur ce rocher dominant mer et terre. Je me gardais bien de lui avouer mon malaise de voir s’accomplir la naissance et la mort du jour dans des couleurs qui étaient aussi celles des chair pourries et de l’enfer, et plus secrètement encore, de mes peurs intimes. »

lundi 17 mars 2014

665



« Dans le grenier de la vieille maison, c'est un capharnaüm de malles remplies de livres, de lettres, de papiers de famille, mais aussi de vêtements périmés, de rideaux, de dentelles, de coussins à franges et à ramages. Il y traîne des jouets comme fracassés par le temps : une poupée qui a perdu une jambe, une autre dont le crâne de porcelaine s'est brisé et laisse apparaître le délicat appareil de contrepoids qui fait mouvoir les yeux, petits globes de verre bleus se haussant et s'abaissant sous des paupières immobiles ornées de très longs cils. Les poupées portent des robes à l'image de celles des petites filles et, là-dessous, de précieux petits pantalons blancs serrés contre les cuisses. Un jeu de quilles est étalé sur le plancher. Un cheval de bois éreinté est encore attelé à sa charrette, mais celle-ci n'a plus de roues. Des soldats de plomb fauchés dans leur élan viril gisent dans une boîte de carton. De nombreux couvre-chefs, masculins ou féminins, sont accrochés à des patères ou traînent dans la poussière : des casquettes, des gibus, des canotiers, des chapeaux extravagants ornés d'oiseaux, de fleurs, de plumes, et garnis de rubans, de voiles noirs ou de voilettes. »

vendredi 14 mars 2014

664



« Skoutchno est un mot russe très difficile à traduire. Cela signifie plus que morne ennui: c'est un vide de l'âme qui vous aspire de manière indéfinie mais vive vers une nostalgie prenante, telle une vague. Alors que j'avais treize ans, âge que dans le langage courant l'on désigne sous l'appellation d'"âge ingrat", mes parents ne savaient plus à quel saint se vouer. Nous habitions en Bucovine. [...] Mais ce que je veux raconter m'apparaît aussi lointain dans l'espace et le temps que si je n'avais fait que le rêver. Et pourtant tout a commencé comme une histoire très ordinaire. »

mercredi 12 mars 2014

663



« Frigidité, Argent, Menstruation, Infériorité, Masturbation, Mort et Abandon, les problèmes du jeudi finissaient par ne plus faire qu’un seul et immense problème. Chacun avait le sien, mais se trouvait quelque peu contaminé par ceux des autres. Qui avait le problème de la Mort commençait ainsi, au bout de plusieurs mois, à guérir du problème de la Menstruation, qu’il n’avait jamais eu ; qui était venu pour l’Argent se retrouvait bientôt avec le problème de la Frigidité, lequel pouvait estomper l’autre. C’était comme si, dans un navire en quarantaine pour cause de variole, on introduisait un équipage atteint de la peste ou du choléra : au bout d’un moment, le varioleux se préoccupe surtout de la dysenterie cholérique, et s’estime guéri s’il y survit. Dans l’analyse et dans la névrose (ces situations sont analogues), la contagion est véhiculée par le langage. La parole du névrotique, de l’analysant et de l’analyste exerce la même fonction que la parole du poète : elle crée une séduction et suscite une imitation. Comme c’étaient les meneurs qui parlaient, autrement dit les chefs de groupe et les malades en chef, c’est par leur modèle qu’on était séduit, c’est leur exemple qu’on imitait : au bouts de quelques mois, les membres d’un groupe voyaient tous leur état empirer au niveau de leur chef, après quoi ils commençaient à remonter péniblement la pente. L’arrivée d’un nouveau meneur-groupe-maladie provoquait alors une crise de rejet : on s’efforçait aussitôt de le tenir à l’écart, de l’isoler, de l’entourer des barbelés du silence, de lui interdire tout contact public ou clandestin. Comme si était montée à bord du navire en quarantaine une chiourme de tuberculeux, et qu’on leur eût dit : “Voici pour vous deux cabines, des latrines et une cuisine ; défense d’en sortir.” Si au cours d’une séance vouée à la Frigidité, à l’Argent, à l’Infériorité et à l’Abandon un représentant de la Castration ou du Pénis de la Femme venait à prendre la parole, l’auditoire serrait les rangs, ne lui laissait aucune place, négligeait ses questions, se préservait, tout en s’interrogeant : “De quel bacille est-il porteur, celui-là? Quelle maladie provoque-t-il? Ne me l’aurait-il pas déjà transmise? Comment faudra-t-il que je me soigne?” À bord du navire en quarantaine, le cholérique se demande au premier furoncle s’il n’a pas aussi la peste, et personne ne peut lui garantir qu’il n’en est pas atteint. »

lundi 10 mars 2014

662



« ll y a une joie sauvage, panique et totale, une joie préhistorique et animale à prendre possession d’un rêve de femme. Ce n’est pas comme faire l’amour avec elle. C’est bien davantage. En comparaison, l’acte sexuel - préliminaires et pénétration, caresses et insémination, orgasme - est d’une grande banalité. Tu ne connais pas une personne sous prétexte que tu vis avec elle, manges avec elle, fais l’amour avec elle. Tu ne la connais pas sous prétexte qu’elle se confesse à toi : des dizaines de confesseurs avaient entendu les hommes et les femmes qui venaient chez Bàart, sans pour autant les connaître comme Bàart les connaissait. On connaît quelqu’un quand on connaît ce qu’il imagine et ce qu’il rêve. C’est là qu’est son fin fond, son ressort secret, en un lieu qu’il ignore lui-même. »

vendredi 7 mars 2014

661



« La crainte est un coussin sous les pieds de l’amour,
     Orné de couleurs peintes, et pour lui confortable :
     Vermillon suave, blanc exsangue, bleu
     Pareil à la fleur, vert qui s’unit à l’été,
     Tendre violet promis à la mer, et noir calciné.
     Sous toutes formes colorées, crainte, présage et changement,
     Prophétie souffrante et rumeurs boiteuses,

     Prescience et divination,
     Imprudente inscription, souvenir consigné,
     Tous sont recouverts du manteau de l’amour,
     Qui les laisse rouler après s’être ébroué,
     Bousculés, emportés par le vent dans l’air poussiéreux. »

mercredi 5 mars 2014

660



 « tu sais, ce qui s’est inscrit dans ton œil
approfondit pour nous la profondeur.

là où mourait l’éclat, se tenait
le Temps, nourrice splendide,
sur lequel poussait déjà, vers le haut,
le bas, au-delà, ce qui
est, était, ou sera –

Tout,
même le lourd, allait
voler, rien
ne retenait »

lundi 3 mars 2014

659



« Ce n’est pas un homme mais un alguazil. Voyez quelle façon de parler ! La question de l’un et la réponse de l’autre montrent suffisamment que vous ne savez pas grand-chose. Et il faut signaler que si nous les diables logeons dans les alguazils, ce n’est pas de notre plein gré mais par force ; aussi, pour être dans le vrai vous devez m’appeler démon enalguazilé et ne pas traiter celui-ci d’alguazil démoniaque. Et l’on ne proclamera jamais assez que vous les hommes vous accordez mieux avec nous qu’avec eux, car nous autres fuyons la croix et eux la brandissent14 pour faire du mal. Qui oserait nier que nous remplissions le même office ? puisque, tout bien considéré, nous œuvrons pour la condamnation, et les alguazils pareillement ; nous poussons au vice et au péché partout dans le monde, et les alguazils font de même mais avec plus d’acharnement encore car ils en tirent leur subsistance, tandis que nous autres cherchons seulement à recruter. Et dans cet office, les alguazils sont plus à blâmer que nous, attendu qu’ils font du mal à leurs semblables, à des humains comme eux, contrairement à nous qui sommes des anges, quoique déchus. Par ailleurs, nous sommes devenus démons pour avoir voulu être plus que Dieu, et les alguazils sont alguazils parce qu’ils veulent être moins que tous. En sorte, mon père, que tu te fatigues inutilement en appliquant des reliques sur celui-là, car il n’est pas de saint qui, tombé dans ses griffes, n’y reste pris. Dis-toi que les alguazils et nous appartenons tous au même ordre, à cette différence près qu’ils sont diables chaussés et nous diables récollets, vu que nous menons rude vie en enfer. »