vendredi 14 février 2014

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« Il fut un temps où je pouvais dire que personne n’était mort
parmi ceux que je connaissais bien. Ce qui ne veut pas dire
que personne ne mourait. J’avais huit ans quand ma mère
se trouva enceinte. Elle partit à l’hôpital pour accoucher et
revint sans le bébé. Où est le bébé ? avons-nous demandé.
A-t-elle haussé les épaules ? Elle était du genre à hausser
les épaules ; tout au fond d’elle-même il y avait un haussement
infini. Ça ne ressemblait pas à une mort. Les années
passaient et les gens ne mouraient qu’à la télévision – s’ils
n’étaient pas Noirs, ils étaient en noir ou malades à l’agonie.
Puis un jour au retour de l’école, je vis mon père assis sur
les marches de notre maison. Il n’avait pas son air habituel ;
il était en nage, il ruisselait. J’ai grimpé les marches en l’évitant
au maximum. Il craquait ou avait déjà craqué. Ou, pour
être plus précise, il m’avait l’air de quelqu’un qui vient de
comprendre son esseulement. Solitude. Sa mère était morte.
Je ne l’avais jamais rencontrée. Pour lui, ça voulait dire un
voyage là-bas. Quand il revint, il ne dit rien, ni de l’avion ni
de l’enterrement. »