« Dans les mois qui suivirent, près de six cent
cinquante mille hommes affluèrent vers Tchernobyl. Pour abattre les arbres, les
brûler sur de gigantesques bûchers. Des appelés du contingent qui croyaient
participer à de vulgaires manoeuvres. Des régiments entiers se déployèrent
autour de la zone, mais les barrages n'étaient pas rigoureux et il suffisait de
graisser la patte d'un gradé sans scrupule pour entrer ou sortir du périmètre
interdit. Dans les bois circulaient de petites bandes d'hommes armés. Ils
étaient chargés d'abattre le bétail, et aussi les chiens, les chats, de faire
en sorte qu'aucun animal ne s'évade de la zone la plus contaminée. On leur
distribuait de la vodka à foison. Dans cette curieuse partie de campagne
printanière, ils cueillaient des champignons, des fraises, des framboises, s'en
régalaient, se ruaient sur les poulaillers, gobaient les oeufs avant de tirer
en rafales sur la volaille affolée. Les chemins étaient bordés de place en
place de cadavres d'animaux, vaches ou cochons mitraillés à la kalachnikov et
dont la viande se décomposait en attirant de copieux nuages de mouches. »