dimanche 20 mars 2011

151



« Au début, j’ai pensé  que l’idée lui plaisait, parce qu’elle a fait « Hmm ! » avec un certain enthousiasme. À un ou deux endroits de mon histoire hypothétique (que j’ai un peu enjolivée pour la postérité, bien que dans ses grandes lignes elle soit comme je la lui ai racontée), il y avait eu un éclat intéressé dans ses yeux. Mais à ma grande consternation, plus elle réfléchissait à ce concept de perversion du temps, plus elle semblait s’y opposer. J’ai essayé de la convaincre avec d’autres exemples : est-ce que ça ne l’intéresserait pas un peu de se trouver dans un lieu public comme Park Street Station, attendant son train, et d’être capable d’appuyer sur la touche play pour traverser la foule des hommes en complet et cravate et leur baisser vivement leur pantalon afin que leur idole maniaque sorte timidement sous les pans de leur chemise, disponible pour toutes les évaluations, les comparaisons et les câlineries rapides ? »

samedi 19 mars 2011

150



« Il comprit qu’on ne s’évadait pas du Temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant et qui n’avait pas cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort. »

vendredi 18 mars 2011

149



« —Pourquoi ?
   Pourquoi quoi ?
   Pourquoi te baladais-tu toute la journée avec des balles de caoutchouc dans les mains ?
   Parce que les balles de caoutchouc…, dit Orr.
   … marchent mieux que les pommes sauvages ?
— Je faisais ça pour protéger ma réputation, au cas où quelqu’un m’aurait surpris à me balader avec des pommes sauvages dans les joues. Avec des balles de caoutchouc dans les mains, je pouvais nier avoir des pommes sauvages dans les joues. Chaque fois qu’on me demandait pourquoi je me baladais avec des pommes sauvages dans les joues, j’ouvrais simplement les mains et montrais qu’il s’agissait de balles de caoutchouc et non des pommes sauvages, et qu’elles étaient  dans mes mains, pas dans mes joues. C’était un bon truc, mais je n’ai jamais su s’il avait marché ou non, car c’est difficile de se faire comprendre quand on parle avec deux pommes sauvages dans les joues. »

jeudi 17 mars 2011

148



« Il y avait encore dans la chambre, assis sur un haut tabouret devant l'échiquier, un énorme chat noir qui tenait dans sa patte de devant un cavalier du jeu d'échecs. Hella se leva et s'inclina devant Marguerite. Le chat sauta à bas de son tabouret et en fit autant. Pendant qu'il ramenait derrière lui sa patte arrière droite pour achever sa révérence, il lâcha le cavalier qui roula sous le lit. Le chat alla l'y rechercher aussitôt. Tout cela, Marguerite, à demi-morte de peur, ne le discernait qu'à grand-peine, dans les ombres perfides que jetaient les chandeliers. Son regard s'arrêta sur le lit, où était assis celui à qui, récemment encore, à l'étang du Patriarche, le pauvre Ivan avait affirmé que le diable n'existait pas. C'était lui, cet être inexistant, qui se trouvait sur le lit. »

mercredi 16 mars 2011

147



« J’ai entendu un autre instituteur dire à un couple soucieux, « C’est peut-être la raison pour laquelle votre enfant pourrait connaître des difficultés dans ses rapports interpersonnels », et il montrait au couple un dessin d’un ornithorynque qu’avait fait leur fils, en leur disant qu’un ornithorynque normal devait avoir l’air « moins dérangé ». À un moment donné, Jayne a murmuré tout doucement, « Je fais du yoga », et nous avons lu une rédaction écrite par Sarah, intitulée « J’aimerais être un pigeon », qui a fait éclater en sanglots Jayne, et j’ai regardé sans dire un mot les dessins du Terby – il y en avait des douzaines – furieux dans ses attaques en piqué sur une maison qui ressemblait à la nôtre. »

mardi 15 mars 2011

146



« C'était comme ça que j'étais devenu le fêtard déjanté qui traversait ce naufrage, en saignant du nez et en posant des questions qui n'appelaient pas la moindre réponse. C'était comme ça que j'étais devenu le garçon qui ne comprenait pas comment les choses pouvaient marcher. C'était comme ça que j'étais devenu le garçon qui ne sauverait pas la vie d'un ami. C'était comme ça que j'étais devenu le garçon qui ne pourrait jamais aimer la fille. »

lundi 14 mars 2011

145



« Ce monde n'est je vous l'assure qu'une immense entreprise à se foutre du monde ! »

dimanche 13 mars 2011

144



« On grimpe sur le petit plongeoir on saute on remonte son slip on sort. On grimpe sur le grand plongeoir on saute on remonte son slip on sort. On grimpe sur le grand plongeoir on saute on remonte son slip on sort. On grimpe sur le grand plongeoir on saute on remonte son slip on sort.  On grimpe sur le grand plongeoir on saute sur quelqu’un on s’excuse on remonte son slip on sort. On grimpe sur le grand plongeoir on saute on remonte son slip on sort.»

samedi 12 mars 2011

143



« Mais quand nous eûmes prévenus la police, la fillette avait disparu ; on trouva la maison close entièrement vide, propre et sans aucun meuble, et les agents nous montrant une plaque : À louer, fixée sur la porte blanche, nous rirent au nez. »

vendredi 11 mars 2011

142



« Nous allâmes nous mettre au lit jusqu’à l’aube. Comme des nuages rouges déchiraient le ciel nous ouvrîmes les fenêtres. L’un des volets de la maison close baillait. Nous descendîmes rapidement. Au soleil levant la petite fille aux cheveux d’or riait. Quand nous la questionnâmes, elle rit sans rien dire. Je lui pris sa petite main : elle était terreuse, et sous les ongles, il y avait des raies de sang. »

jeudi 10 mars 2011

141



« Et parmi les lumières errantes, nous entendions des plaintes terrifiées et des hoquets de sanglots. Nous nous ruâmes à la porte blanche et, plein d’horreur et de courage nous frappâmes des coups violents. Il y eut deux longs gémissements, comme des soupirs de mort. Puis le silence revint, le silence pesant. Puis les lueurs s’éteignirent une à une, non pas ensemble, ainsi qu’au point du jour. Tous nos appels restèrent sans réponse. »

mercredi 9 mars 2011

140



« Un jour où je m’étais éloigné des maisons et où je suivais le rivage, m’efforçant de dresser un inventaire de tout ce que j’y rencontrai à chaque pas — écrevisses mortes, serpents d’eau, morceaux de ferrailles, fins ossements d’oiseaux, touffes de plumes… —, j’ai été moi-même assailli par l’un d’entre eux. Il s’agissait d’un animal de belle taille, aux oreilles pointues, c’est tout ce que je peux en dire. Je ne l’avais ni vu ni entendu venir quand il m’a chargé, comme si je lui avais causé le moindre tort, à lui ou à sa famille, d’une distance d’environ cinquante mètres. Par bonheur il se trouvait à mes pieds une pièce métallique, provenant de la construction navale, dont j’ai eu le temps de m’emparer pour la brandir. »

mardi 8 mars 2011

139



« Et quand j’aurai raconté l’apparition de cette reine Maritorne qui pesa sur toute mon enfance, à la façon d’un obscur cauchemar, j’aurai clos la série de mes contes d’enfance, terminé la suite de ces histoires falotes, au parfum suranné et vieillot, dont Nanon enchanta mes premières années et qui, à l’heure qu’il est, évoquent encore à mes yeux tout un coin de province aujourd’hui disparu, de société  tout à fait oubliée, et cela avec le charme indéfinissable qu’exhalent, à la fin d’octobre, certaines charmilles et allées de tilleuls : odeur fade et piquante de terreau de cimetière, parfum d’éther et de feuilles mortes. »

lundi 7 mars 2011

138



« Elle sourit et ne répondit pas. Elle ne disait jamais rien.
Mon bonheur était aussi vert qu’un jus de pomme anglais. »

dimanche 6 mars 2011

137



« Il y a des hommes qui n’ont pas encore admis la malédiction divine. Ils ne travailleront pas à la sueur de leurs fronts. Rien ne leur est de rien dans le vaste monde déchu. Ils n’ont pas d’intérêt ni dans la botanique, ni dans l’ethnographie, ni dans l’histoire du droit. Rien ne leur est de rien que cette étincelle au fond de leurs yeux, et il y a malheureusement des miroirs. Dès qu’ils l’ont vu, tout est bien fini. »

samedi 5 mars 2011

136



« Studer fut étonné de constater que son compagnon était nerveux ; il sentit très nettement que ses doigts tremblaient ; ils tambourinaient doucement sur le cuir de sa veste. »

vendredi 4 mars 2011

135



« Durant les deux heures que nous mîmes à nous en approcher, nous n’avions d’yeux que pour ces merveilles. »

jeudi 3 mars 2011

134



« Quelles doivent être les souffrances de leurs amants lorsque des personnes douées pour l’œuvre de chair quittent soudain le monde, se consacrent à une œuvre pie ou à un rêve hautain. »

mercredi 2 mars 2011

133







« Un moment El Kordi regarda la scène sans saisir très bien le côté burlesque qui semblait s’y rattacher. Il avait l’intuition que quelque part le mécanisme de l’humour s’était déclenché, mais il restait comme étranger à la chose, se refusant encore à comprendre. L’espace de quelques secondes il hésita à rire, puis brusquement, tout, le ridicule de la scène, toute la saveur contenue dans cette fierté professionnelle lui sauta aux yeux, et il éclata d’un rire inextinguible. »

mardi 1 mars 2011

132



« Je me rappelle que brusquement, sans transition, il se mit à faire chaud. Alors que les arbres n’avaient même pas achevé de verdir. Et en même temps que la chaleur, les mouches, tout à coup, comme par l’effet d’une génération soudaine et spontanée : nuées noires s’élevant, tourbillonnant, vagues et macabres relents de choses en train de se décomposer, se corrompre (fleurs fanées, trognons de choux, détritus, dans les caniveaux du marché : exhalaisons sures, tenaces, lourdes, immobiles dans l’air immobile et lourd, et cette ancienne torpeur). »