vendredi 28 février 2014

658



« Lorsque j'eus lancé mon Défi,
Le Soleil frémit dans le ciel ;
La Lune lointaine et brillant bas
Devint lépreuse et blanche comme neige ;
Et sur Terre toute âme humaine
Ressentit l'affliction, la peine, la maladie et la disette,
Los flamboya sur mon chemin et le Soleil devint brûlant
À cause des Arcs de mon Esprit et des Flèches de la Pensée –
Ma corde d'arc respire une Ardeur furieuse,
Mes flèches brillent dans leurs gerbes d'or ;
Mes frères, mon père marchent devant ;
Les cieux ruissellent de sang humain.

Maintenant je contemple une vision quatruple,
Une vision quatruple m'est donnée ;
Elle est quatruple dans ma joie suprême,
Triple dans la douce nuit de Beulah,
Double toujours. Dieu nous garde
De la vision simple et du sommeil de Newton !»


mercredi 26 février 2014

657



« Vathek ne douta point que le silence de l’inconnu ne fût causé par le respect que lui inspirait sa présence, le fit avancer avec bonté, et lui demanda d’un air affable, qui il était, d’où il venait, et où il avait acquis de si belles choses ? L’homme, ou plutôt le monstre, au lieu de répondre à ces questions, frotta trois fois son front, [qui ainsi que tout son corps était] plus noir que l’ébène ; frappa quatre fois sur son ventre dont la circonférence était énorme ; ouvrit de [grands] yeux qui paraissaient deux charbons ardents, et [enfin] se mit à rire avec un bruit affreux en montrant de larges dents couleur d’ambre [quoique] rayés de vert. »

lundi 24 février 2014

656



« Vathek, neuvième Califea de la race des Abbassides, était fils de Motassem, et petit-fils d’Haroun Al-Rachidb. Il monta sur le trône à la fleur de l’âge et les grandes qualités qu’il possédait déjà faisaient espérer à ses peuples que son règne serait long et heureux. Sa figure était agréable et majestueuse mais quand il était en colère, un de ses yeux devenait si terrible qu’on n’en [pouvait soutenir les regards] et le malheureux sur lequel il les fixait, tombait à la renverse et quelquefois même expirait à l’instant : Aussi, dans la crainte de dépeupler ses états et de faire un désert de son palais, ce prince ne se mettait en colère que très rarement. »

vendredi 21 février 2014

655



«  Et pour finir en ce qui concerne l’image, si elle est examinée de façon naturelle et non selon une conception Hiéroglyphique, on voit qu’elle contient de nombreuses inexactitudes, différant presque en tout d’une description réelle et correcte. Car, alors que l’on peint le Pélican généralement vert ou jaune, sa véritable couleur tend plutôt au blanc, à l’exception des extrémités ou parties supérieures des plumes de ses ailes, lesquelles sont brunes; il est décrit comme ayant la taille d’une Poule, alors qu’elle est proche de celle d’un Cygne, qu’elle dépasse même parfois. On le représente le plus souvent avec un bec court alors que celui du Pélican atteint parfois une longueur de deux mains. Le bec est dessiné aigu ou pointu à son extrémité, alors qu’il est plat et large, bien que légèrement recourbé à son extrémité. Il est décrit comme appartenant aux fissipèdes, c’est-à-dire aux oiseaux dont les pieds ou les griffes sont divisés alors que c’est un palmipède, c’est-à-dire qu’il a des pieds palmés à la manière des Cygnes ou des Oies, selon la Méthode de la nature, pour les oiseaux latirostraux ou à bec plat, chez qui, étant le plus souvent des nageurs, cet organe est admirablement conçu dans ce but, car leurs pieds sont formés de nageoires ou de rames; en conséquence, ils ne se posent pas sur les arbres et n’y font pas leur nid, si on excepte les Cormorans, qui construisent leur nid à la manière des Hérons. Enfin, une partie de son corps est omise, laquelle est plus remarquable que toutes les autres, à savoir son gave ou jabot, attaché à la partie inférieure du bec et qui descend sur sa poitrine: une poche ou sac fort visible, dont la contenance est presque incroyable; à l’aide de ce jabot cet animal est à l’abri du besoin car il y conserve des Huîtres, des Coques, des Pétoncles et autres animaux testacés, qu’il est incapable de casser, qu’il garde jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent et dont, après les avoir vomis, il avale la chair. Il s’agit de cette partie du corps qui a été conservée en tant qu’objet rare et dans laquelle (comme le rapporte Sánchez de las Brozas ), après dissection, a été trouvé un enfant Nègre. »

mercredi 19 février 2014

654



« Toutefois, après recherche, nous n’en trouvons nulle mention chez les Anciens Zodiographes ni chez tous ceux qui ont spécifiquement disserté sur les Animaux, par exemple Aristote, Élien, Pline, Solinus et bien d’autres encore qui oublient rarement des propriétés d’une telle nature et ont été bien plus précis dans des Articles de bien moindre importance. Sur ce sujet, il nous faut admettre que cette représentation n’est pas sans fondement, et nous ne pouvons pas non plus nier que les Pélicans montrent une remarquable affection pour leurs petits, car Élien, dans sa description des Cigognes et de la tendresse qu’elles manifestent à l’égard de leur progéniture, à qui elles apprennent à voler, et à qui elles redistribuent les provisions qu’elles ont dans le ventre, termine en concluant que les Hérons et les Pélicans agissent de la même façon. »

lundi 17 février 2014

653



«  Il est déjà dix heures et demie lorsque L’Oiseau bleu, donné par une compagnie en tournée, prend fin au Théâtre lyrique. Je ne quitte pas la salle tout de suite ; il me plaît de contempler les rangées de fauteuils vides : qui croirait que, quelques instants auparavant, ils accueillaient encore, avec la pompe exotique de certains bals, tous ces corps parfumés ; j’aime assister à la transformation, en trois minutes, de toute cette splendeur en une crypte sombre et effrayante. »

vendredi 14 février 2014

652



« Il fut un temps où je pouvais dire que personne n’était mort
parmi ceux que je connaissais bien. Ce qui ne veut pas dire
que personne ne mourait. J’avais huit ans quand ma mère
se trouva enceinte. Elle partit à l’hôpital pour accoucher et
revint sans le bébé. Où est le bébé ? avons-nous demandé.
A-t-elle haussé les épaules ? Elle était du genre à hausser
les épaules ; tout au fond d’elle-même il y avait un haussement
infini. Ça ne ressemblait pas à une mort. Les années
passaient et les gens ne mouraient qu’à la télévision – s’ils
n’étaient pas Noirs, ils étaient en noir ou malades à l’agonie.
Puis un jour au retour de l’école, je vis mon père assis sur
les marches de notre maison. Il n’avait pas son air habituel ;
il était en nage, il ruisselait. J’ai grimpé les marches en l’évitant
au maximum. Il craquait ou avait déjà craqué. Ou, pour
être plus précise, il m’avait l’air de quelqu’un qui vient de
comprendre son esseulement. Solitude. Sa mère était morte.
Je ne l’avais jamais rencontrée. Pour lui, ça voulait dire un
voyage là-bas. Quand il revint, il ne dit rien, ni de l’avion ni
de l’enterrement. »

mercredi 12 février 2014

651



« Et même si la névrose, pour le moment, nuit gravement à l’organisme, il n’y a pas de quoi s’alarmer. En effet, si, par rapport au cerveau, l’évolution du reste de l’organisme a pris du retard, ce n’est pas pour longtemps : le corps va s’adapter, la merveilleuse loi de l’autorégulation entrera en fonction, et ce qui porte aujourd’hui le nom de neurasthénie désignera demain l’état de santé le plus florissant. »

lundi 10 février 2014

650



«  La névrose ne doit pas effrayer, car au bout du compte, elle désigne la voie dans laquelle semble devoir s’engager l’esprit humain au cours de son évolution, dans son progrès. Il y a longtemps qu’on a cessé, en médecine, de considérer par exemple la neurasthénie comme une maladie ; elle semble être au contraire la phase évolutive la plus récente, phase absolument nécessaire, dans laquelle le cerveau devient bien plus performant, largement plus productif, grâce à des facultés sensitives fortement accrues. »

vendredi 7 février 2014

649



«  Il s’agit de l’un de ces êtres allant par les chemins d’un pas cassé, comme des fleurs malades, d’un individu parmi ceux de la race aristocratique de l’esprit nouveau qui se meurent d’un excès de raffinement et d’un trop luxuriant développement cérébral. »

mercredi 5 février 2014

648



« Elle vendait des violons, des pianos, des flûtes et des batteries. Elle était plus jeune que lui. Elle avait douze ans de moins que lui. »

lundi 3 février 2014

647


«  Il avait presque cinquante ans, une bonne partie de ses cheveux étaient blancs, il nous a quittés deux jours après l’accident. Ces deux jours-là, il était dans le coma, à l’hôpital où ils l’ont opéré à la tête. Les chirurgiens qui l’ont opéré disaient qu’il avait des chances de s’en sortir. Ils lui ont découpé une partie du crâne. Ils avaient demandé à sa femme une signature pour l’intervention chirurgicale. »

vendredi 31 janvier 2014

646



« Ta grandeur morale, image de l’infini, est immense comme la réflexion du philosophe, comme l’amour de la femme, comme la beauté divine de l’oiseau, comme les méditations du poète. Tu es plus beau que la nuit. »

mercredi 29 janvier 2014

645



« Vu l’état d’avancement de notre culture actuelle, et comment l’on brandit la Torche de la Science avec plus ou moins d’effet depuis cinq mille ans, en la portant toujours plus haut; comment, particulièrement à notre époque, non seulement la Torche brûle toujours, et avec peut-être plus d’acharnement que jamais, mais d’innombrables chandelles de suif et allumettes soufrées, qui se sont enflammées à son contact, illuminent dans toutes les directions, si bien qu’aucun recoin, aucune brèche dans la Nature ou dans l’Art, aussi minimes soient-ils, ne demeurent enténébrés — un esprit réfléchi pourrait être surpris de constater que rien jusqu’ici, et en tout cas rien d’un caractère fondamental, ni en Philosophie ni en Histoire, n’ait été écrit au sujet des Habits. »


lundi 27 janvier 2014

644


« yesterday the cat walked calmly up the driveway
with the mockingbird alive in its mouth,
wings fanned, beautiful wings fanned and flopping,
feathers parted like a woman’s legs,
and the bird was no longer mocking,
it was asking, it was praying
but the cat
striding down through centuries
would not listen.
 »

vendredi 24 janvier 2014

643



« Dieu sait pourquoi l’idée me vint alors que, s’il avait pu prévoir la chose, père aurait aimé emporter sous terre avec lui des objets familiers. À commencer par frère et moi, songeai-je, mais cette perspective me parut excessive et désemparante. Bien sûr notre tour viendrait, notre tour de décéder, et le même jour encore ou peu s’en faut, extrêmement oints, si ça se dit, dociles jusque dans et par la tombe, car celle de papa, qui semblait exister depuis toujours en quelque endroit de la plaine qu’il nous restait encore à deviner, constituait une manière de commandement, un appel donné si j’ose dire depuis la matrice de la terre, comme tous ses ordres étaient donnés jusque-là depuis la chambre de l’étage, je dis la chose comme elle m’apparaît. Mais ça pouvait attendre, je veux dire notre tour, quelques jours du moins, peut-être des semaines, voire des siècles, car si nous savions de source sûre par mon père que nous étions mortels jusqu’au trognon et que tout passe ici-bas, papa ne nous avait jamais précisé combien de temps il faudrait pour que nous cessions de l’être, mortels, et passions comme cadavres de l’état d’apprenti à celui de compagnon, mon frère et moi. »

mercredi 22 janvier 2014

642



« MACBETH : Je l’ai vu.
Du sang fut répandu autrefois
Avant que la loi ne plante sur ses pieds le squelette
De l’Etat. Et depuis aussi des meurtres innombrables
Et sans nom. Et il en a toujours été ainsi : quand
La cervelle était dehors, l’homme mourait et après
Plus rien. Aujourd’hui les morts ont de l’avenir.
Vingt trous dans le crâne, le vent passe au travers
La pluie y entre, et ils se relèvent
Et nous chassent de nos chaises ou
Prennent place sur notre pauvre dos
Pour jouer au cheval avec notre majesté. »

lundi 20 janvier 2014

641



« Sometimes, when there’s been an accident and reality is too sudden and strange to comprehend, the surreal will take over. Action slows to a dreamlike glide, frame by frame; the motion of a hand, a sentence spoken, fills an eternity. Little things—a cricket on a stem, the veined branches on a leaf—are magnified, brought from the background in achingly clear focus. »

vendredi 17 janvier 2014

640



« L'eau, d'une gueule de satyre aux oreilles foliesques, tombait dans une cuve naturelle de terre rouge et d'herbes vertes où s'enracinaient des lauriers-roses en touffes compactes. Ce n'était point la vasque moisie et lépreuse de nos jardins où la source inutile vient inonder une terre déjà molle de pluie. C'était une naissance de fleurs dans le sol pourpré du Midi, une fontaine de sève, une urne génitrice d'où la vie ruisselait en verdures mouvantes, et le vieux satyre, fils de Pan, regardait la jeunesse des bois descendre éternellement de ses lèvres.
Au-dessous du mascaron cornu, que la blanche Aline prenait pour le diable, deux nymphes de marbre s'enlaçaient, debout et penchées sur le bassin obscur. A la fin de chaque hiver l'amandier les couvrait de ses petites églantines. L'été, elles prenaient sous le soleil toutes les couleurs de la chair. La nuit elles redevenaient déesses. »

mercredi 15 janvier 2014

639



« Je dormais dans mon jardin, selon ma constante habitude, dans l'après-midi. A cette heure de pleine sécurité, ton oncle se glissa près de moi avec une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame, et m'en versa dans le creux de l'oreille la liqueur lépreuse. L'effet en est funeste pour le sang de l'homme : rapide comme le vif-argent, elle s'élance à travers les portes et les allées naturelles du corps, et, par son action énergique, fait figer et cailler, comme une goutte d'acide fait du lait, le sang le plus limpide et le plus pur. C'est ce que j'éprouvai ; et tout à coup je sentis, pareil à Lazare, la lèpre couvrir partout d'une croûte infecte et hideuse la surface lisse de mon corps. Voilà comment dans mon sommeil la main d'un frère me ravit à la fois existence, couronne et reine. »